
L’expatriation fait fantasmer autant qu’elle agace. D’un côté, l’image du digital nomad sirotant son smoothie face à l’océan. De l’autre, celle de l’évadé fiscal qui abandonne son pays. Entre ces deux caricatures, il y a une réalité bien plus complexe que personne n’ose vraiment aborder.
Chaque année, des milliers d’entrepreneurs français franchissent le pas. Certains pour la fiscalité, d’autres pour la liberté, beaucoup pour un mélange des deux. Mais derrière ce choix se cachent des vérités méconnues : des difficultés qu’on n’imagine pas, des avantages qu’on surestime, et surtout des questions existentielles sur ce qu’on recherche vraiment dans sa vie professionnelle.
L’expatriation entrepreneuriale cristallise les tensions. Elle interroge notre rapport à la contribution sociale, à la liberté individuelle, à l’ancrage territorial. Elle met face à face ceux qui valorisent la souveraineté personnelle et ceux qui défendent la solidarité collective. Mais au-delà des postures idéologiques, qu’en est-il vraiment sur le terrain ?
Passons maintenant en revue les sept idées reçues les plus tenaces sur l’expatriation entrepreneuriale.
Mythe 1 : « Les entrepreneurs qui s’expatrient fuient l’impôt »
C’est l’accusation la plus fréquente. Pourtant, la France reste l’un des meilleurs pays au monde pour optimiser fiscalement… sans partir. Les holdings, l’investissement immobilier, la défiscalisation par la rénovation énergétique : les outils ne manquent pas pour réduire sa pression fiscale tout en restant sur le territoire.
La différence ? Ces optimisations françaises vous poussent vers un modèle d’endettement perpétuel et de réinvestissement constant. Vous payez moins d’impôts, certes, mais vous vous engagez dans une logique de levier bancaire, d’accumulation immobilière, de complexité croissante. Pour quelqu’un en quête de simplicité et de minimalisme, c’est un piège.
L’expatriation offre parfois une fiscalité plus légère, c’est vrai. Mais elle coûte aussi : création de société dans le nouveau pays (entre 2000 et 15000 euros selon les destinations), obtention de résidence (500 à 5000 euros), loyers perdus dans les transitions, frais de déménagement multiples. Sur les deux premières années, le bilan financier n’est pas toujours positif.
Si l’unique motivation était l’argent, autant rester en France et optimiser intelligemment. Ou choisir des secteurs bien plus lucratifs que l’éco-construction ou la permaculture. La vraie question derrière l’expatriation est ailleurs : quel style de vie je veux vraiment ?
Mythe 2 : « C’est facile et idyllique de vivre à l’étranger »
L’image Instagram du laptop sur la plage cache une réalité autrement plus rugueuse. Vous débarquez dans un pays inconnu. Vous ne connaissez personne. Vous devez tout reconstruire : réseau professionnel, cercle social, repères du quotidien.
Il faut en moyenne tester 3 à 4 pays avant de trouver celui qui vous convient vraiment. Certains endroits vous montent en énergie, d’autres vous épuisent sans que vous compreniez pourquoi. Et on ne découvre ces subtilités qu’après 6 à 12 mois sur place, une fois l’état de grâce initial évaporé.
Le décalage horaire peut devenir un cauchemar pour votre business. Si vos clients sont en France et que vous êtes 7 heures plus tôt ou plus tard, vos journées deviennent bancales. Les réunions se décalent tôt le matin ou tard le soir. La fatigue s’accumule. Votre présence diminue. Votre entreprise en souffre.
Ajoutez à cela la gestion administrative dans une langue parfois incompréhensible, les codes culturels à décrypter, la nourriture qui ne convient pas toujours, l’isolement qui pèse certains soirs. L’expatriation est un apprentissage permanent, pas des vacances prolongées.
Mythe 3 : « On abandonne son pays en partant »
Cette accusation repose sur une vision très territoriale de l’impact. Comme si la contribution à la société ne pouvait se mesurer qu’en impôts payés sur le sol national et en présence physique permanente.
Un entrepreneur qui développe des solutions de phytoépuration accessible au plus grand nombre crée de la valeur écologique et sociale, qu’il facture depuis Paris, Lisbonne ou Marrakech. Ses formations aident des porteurs de projets français à se lancer. Son accompagnement permet à des entreprises régénératrices de voir le jour en France et ailleurs.
L’impact d’une activité se mesure à ce qu’elle génère concrètement : emplois créés, problèmes résolus, alternatives proposées, connaissances transmises. Pas à l’adresse postale de son fondateur.
D’ailleurs, beaucoup d’entrepreneurs expatriés maintiennent des activités en France : formations présentielles, accompagnements terrain, projets locaux. Ils contribuent aussi à l’économie locale de leur pays d’accueil : emplois créés sur place, projets développés, investissements réalisés.
La mondialisation des activités éco-responsables n’est pas une trahison. C’est une opportunité de diffuser plus largement des pratiques régénératrices.
Mythe 4 : « Il faut être riche pour s’expatrier »
Faux. Il faut surtout avoir une activité qui fonctionne de manière distancielle. Et cette transition peut se construire progressivement, même avec des revenus modestes.
De nombreux pays offrent des coûts de vie inférieurs à la France : Portugal, certaines régions d’Espagne, Europe de l’Est, Asie du Sud-Est, Amérique latine. Avec 1500 à 2000 euros mensuels, on vit confortablement dans beaucoup d’endroits, parfois mieux qu’en France avec le même budget.
La vraie barrière n’est pas financière. Elle est psychologique. C’est accepter de quitter ses repères, de reconstruire ailleurs, de perdre le filet de sécurité du système français (Sécurité sociale, chômage, aides diverses). C’est reprendre sa souveraineté sur sa santé, ses finances, son quotidien.
Une assurance santé internationale couvre aujourd’hui aussi bien que la Sécurité sociale pour 100 à 300 euros mensuels selon l’âge et les garanties. Les systèmes bancaires internationaux se sont considérablement simplifiés. Les outils de travail à distance sont matures.
Ce qui coûte cher, ce ne sont pas les revenus nécessaires pour partir. Ce sont les erreurs des premières années : mauvais choix de pays, mauvaise structure juridique, mauvaise anticipation des coûts cachés.
Mythe 5 : « On perd en qualité de vie à l’étranger »
Cela dépend entièrement de ce qu’on valorise dans la qualité de vie. Si votre priorité absolue est la gastronomie française et l’accès facile aux produits bio locaux, oui, vous aurez du mal à retrouver cela ailleurs. La France reste imbattable sur ce terrain.
Mais la qualité de vie ne se résume pas à la nourriture. Elle englobe aussi la liberté de mouvement, l’accès à la nature, le climat, le rythme de vie, la pression administrative, l’état d’esprit ambiant.
Certains pays offrent un accès exceptionnel à des beautés naturelles préservées : montagnes, rivières sauvages, côtes encore intactes. D’autres proposent 300 jours de soleil par an quand la France en compte 80 dans certaines régions. D’autres encore fonctionnent sur des rythmes moins stressants, avec moins de contrôle omniprésent.
La qualité de vie est subjective. Pour certains, c’est la possibilité de prendre un café en terrasse sans autorisation administrative. Pour d’autres, c’est de pouvoir travailler depuis n’importe où. Pour d’autres encore, c’est de sortir de cette chape de plomb médiatique permanente qui génère anxiété et complainte.
La France offre une qualité de vie exceptionnelle sur certains aspects. Mais pas sur tous. L’expatriation permet d’aller chercher ce qui manque ailleurs.
Mythe 6 : « Seules les activités 100% en ligne peuvent s’expatrier »
C’est vrai que les formations en ligne, le coaching à distance, le conseil digital facilitent grandement l’expatriation. Mais ce ne sont pas les seuls modèles possibles.
Des entrepreneurs développent des projets agricoles dans leur pays d’accueil tout en maintenant une activité de formation internationale. D’autres créent des éco-lieux touristiques qui attirent une clientèle internationale. D’autres encore accompagnent des chantiers d’éco-construction sur place tout en formant à distance.
Le modèle hybride est parfaitement viable : une partie physique locale dans le pays d’accueil, une partie distancielle internationale. Cela demande de la structuration, mais c’est loin d’être impossible.
Certains secteurs se prêtent même mieux à l’expatriation qu’on ne le croit : l’artisanat peut se vendre en ligne avec des tutoriels et du sur-mesure expédié, les produits alimentaires transformés peuvent s’exporter, les services de design ou d’architecture écologique fonctionnent parfaitement à distance.
La vraie question est : est-ce que mon offre résout un problème suffisamment universel pour intéresser des clients au-delà des frontières ?
Mythe 7 : « On devient forcément déconnecté des réalités françaises »
Paradoxalement, s’expatrier peut offrir un recul salutaire sur son propre pays. En sortant du bain quotidien de l’actualité anxiogène, des débats stériles, de la complainte ambiante, on développe une vision plus globale.
On observe d’autres façons de faire, d’autres systèmes, d’autres mentalités. On relativise certains problèmes français en découvrant qu’ailleurs, ils n’existent pas ou sont gérés différemment. On prend conscience aussi de ce qui fonctionne exceptionnellement bien en France et qu’on ne retrouve nulle part.
Les entrepreneurs expatriés restent souvent très connectés aux enjeux français : leurs clients sont français, leurs formations s’adressent aux francophones, leurs projets se développent en partie sur le territoire. Simplement, ils ne subissent plus quotidiennement le poids mental de l’environnement médiatique et social français.
Ils gagnent cette capacité à prendre de la hauteur, à penser différemment, à importer des idées venues d’ailleurs. Loin d’être déconnectés, ils deviennent souvent des passeurs entre cultures et systèmes.
Ce qu’on gagne vraiment (et ce qu’on perd vraiment)
L’expatriation entrepreneuriale n’est ni un eldorado ni une déchéance. C’est un choix de vie avec ses gains et ses pertes.
On gagne : une liberté géographique réelle, une ouverture d’esprit par l’exposition à d’autres cultures, une autonomie mentale renforcée, parfois une pression fiscale allégée, une sortie du conditionnement français, la découverte de nouveaux écosystèmes entrepreneuriaux.
On perd : ses repères habituels, son réseau social et professionnel (à reconstruire), l’accès facile à la gastronomie française, le filet de sécurité de l’État-providence, la stabilité du quotidien, parfois du temps et de l’énergie dans les transitions.
Découvrez les choix de Benjamin et pourquoi il les a fait :
Le vrai critère de décision n’est pas « est-ce mieux ou moins bien », mais « est-ce aligné avec mes valeurs et mes priorités actuelles ». Pour quelqu’un dont la valeur centrale est la liberté, l’expatriation peut être cohérente. Pour quelqu’un profondément attaché au terroir et à l’ancrage local, rester en France l’est tout autant.
